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Numérique et digital des écosystèmes pédagogiques

Lors du City for Education Moscow Global Forum qui s’est tenu à Moscou (Russie), du 30 août au 2 septembre 2018, de nombreuses innovations technologiques et pédagogiques ont témoigné des
programmes visant à préparer les enseignants et étudiants aux mutations des métiers de demain, tout en développant des initiatives d’éducation inclusive. Divers acteurs étaient présents.

Des écoles aux Universités, en passant par les institutions porteuses des écosystèmes et programmes, comme des entreprises développant des outils produits digitaux, l’ambition internationale de ce forum est de
penser collectivement une pédagogie dématérialisée en faveur d’une égalité des chances éducatives.
Si le numérique relatif à l’expérience de la technologie et au changement des supports des données, se distingue du digital qui concerne les pratiques immatérielles des utilisateurs, c’est pour accompagner l’évolution des pratiques et usages pédagogiques, toutes générations confondues.

Si l’accessibilité aux savoirs est liée au niveau d’équipement du récepteur, devenu interactif voire
proactif, qu’il soit en présentiel ou à distance, la motivation plus profonde réside dans l’intérêt porté à la diffusion des savoirs.

La question de fond n’est pas de s’interroger s’il faut ou non déployer le numérique. Il s’agit d’envisager comment l’intégrer dans les parcours faisant face à une double injonction : celle du marché de l’emploi ; et celle de la capacité des structures de formation à les animer, modérer, gérer, évaluer tout en contrôlant l’information diffusée. Si les ENT persistent en tant qu’espaces à caractère administratif, les premières avancées ont été développées avec les serious game et le besoin d’individualisation, notamment avec l’apprentissage des langues. Des plateformes comme les MOOC sont mises en place, plus interactives, plus flexibles et personnalisables dans les parcours de formation. Ces pratiques émergentes répondent à la réalité des métiers de demain qui sont largement dématérialisés, mobiles, embarqués. Ils s’inscrivent dans la mondialisation et la globalisation des échanges de flux d’information des formations. Aussi, la transformation structurante des cycles de formation est de rigueur pour anticiper l’économie.
La montée en compétences n’est pas démontrée meilleure avec le changement d’outils. Ce sont les formats des connaissances dont la qualité et la quantité sont devenues modulables. Cela interroge les lieux d’apprentissage et les interactions homme-machine. On n’apprend ni plus vite, ni mieux, on apprend différemment. Il faut donc questionner le rapport à l’outil, la posture d’accompagnement pédagogique, et l’autonomie connectée de l’apprenant.

Avec un portage politique au travers de lois comme la LRU pour les Universités et l’accent mis sur les initiatives de pédagogie inversée, le programme BAC (efficience de l’apprenant sur la base de l’identification de ses zones d’échec) ou AFFRODIT (déconstruction de la notion de discipline), le projet IDEFI, le Ministère de l'Éducation
Nationale Français soutient la production de ressources numériques innovantes adaptées grâce audispositif Édu-Up. Le dispositif d’aide à la production de ressources numériques pour l'enseignement s'appuie sur une commission multimédia qui donne son avis sur les projets associés à une demande de soutien auprès du ministère. Il s’agit donc d’une politique de l’éducation pensée à tous les niveaux, et évaluée dans la perspective de réduire le décrochage scolaire et universitaire, les inégalités des chances et d’accès aux savoirs, ainsi que de s’adapter aux emplois du futur. Dès 1994, la déclaration de Salamanque actait en faveur d’une « orientation intégrée » avant que ne soit promulguée le 11 février 2005 la loi sur l’égalité des chances. Autant d’impulsions d’un changement qui prend en compte que le système éducatif « doit s’organiser pour répondre aux besoins particuliers de tous les élèves et étudiants (plus largement apprenants), alors que l’intégration suppose la mise en œuvre de dispositifs de soutien et de rééducation pour adapter l’enfant ou l’adolescent à l’école ordinaire » (Thomazet, 2010) avec l’élargissement des publics (âge, handicap, reprise d’études, formation continue, alternance, étrangers, réorientation, etc.).

En effet, la conférence de Louvain de 2004, étayée des objectifs du processus de Boulogne à horizon 2020 pour l’Europe préfigurent le développement des formations centrées sur l’étudiant et le renforcement de la mission d’enseignement des cycles du supérieur. Le projet vise à professionnaliser les acteurs et à accroître la qualité des enseignements en allant vers l’e-pédagogie en adéquation avec les usages.
Le travail collaboratif, la création et le partage incarnent les leviers visant à réduire le fossé social. Or si l’équipement et l’accessibilité tendent à se démocratiser, il n’en demeure pas moins que le clivage d’appropriation des contenus reste du ressort de la mobilisation des acquis individuels. La limite de l’outil numérique, c’est qu’il n’est qu’une interface. La pédagogie d’accompagnement permet de contextualiser l’information et de la rendre pragmatique avec un discours modulable selon les publics et leur temps d’intégration des savoirs. Cela implique la rédaction de scenarii pédagogiques.
Aussi, les contenus supposent d’être à portée universelle, donc calibrés, normés, sans équivoque. Le degré de pertinence de l’information est une réification par des liens créant une dynamique discursive aléatoire en fonction du parcours de l’apprenant. Les contenus, par définition centrés sur l’apprenant, sont conçus dans l’interdisciplinarité plutôt que par spécialités. Cela sollicite l’autonomie de l’apprenant face au pédagogue dont les missions s’étendent de l’enseignant au médiateur alimentant les plateformes d’e-pédagogie. Immatérielles, les séquences d’apprentissage sont davantage sporadiques et éclectiques. Les contenus, agrégat de données, sont organisés et hiérarchisés dans leurs combinaisons au gré des liens et navigations. Il est nécessaire de structurer
les connaissances par une approche chronologique et critique souvent absente des pédagogies actives car la recherche y est décontextualisée. En déplaçant les espaces et la temporalité éducative au bénéfice du rythme individuel avec les technologies (Plaisance, 2010 ; Ramel, 2010), on ouvre des opportunités à fort potentiel pour démultiplier les séquences d’apprentissage et les niveaux d’intégration des savoirs, avec notamment des expériences simulées (Floyd et Shambaugh, 2017) pour traiter les situations spécifiques. Sans accroître la complexité des parcours, le virtuel offre aux apprenants un autre regard sur la diffusion et l’appropriation des connaissances. Il est étroitement lié à la perception et aux représentations des acteurs éducatifs. Aux solutions technologiques proposées, il convient d’adosser des soutiens dédiés. L’e-pédagogie ne sera une réussite qu’avec un bagage de formation des formateurs. Si la fracture numérique et digitale tend à s’amenuiser avec la démocratisation de l’équipement et des TIC, les savoirs immatériels sont le défi qui lui succède.

Par Elizabeth GARDERE, Professeur des Universités, Université de Bordeaux (France)
Chercheur, MICA (EA 4426), Université Bordeaux Montaigne
Membre, Chaire Unesco (769) « Pratiques journalistiques et médiatiques », Université de Strasbourg

Bibliographie

Floyd, K. K., & Shambaugh, N. (2017). “Instructional Design for Simulations in Special Education Virtual Learning
Spaces”. Handbook of Research on Instructional Systems and Educational Technology. IGI Global, p. 202-215.
Plaisance, E. (2010). L'Education inclusive, genèse et expansion d'une orientation éducative, Le cas français, colloque AREF.
Ramel, S. (2010). « Quel impact de l’intégration et l’inclusion scolaires sur les enseignantes et les
enseignants ? », La pédagogie de l'inclusion scolaire, Québec : Presses de l'Université du Québec, pp.383-397
Thomazet, S. (2010). « De l’intégration à l’inclusion. Une nouvelle étape dans l’ouverture de l’école aux différences». Le français aujourd’hui, 152, Paris. pp. 19‐27.